jeudi 9 février 2012

Guéant : chapeau l’artiste ?

Guéant : chapeau l’artiste ?:

Je termine Des hommes de l’ombre, je songe à Guéant. Pour la politique sécuritaire ? Oui. Aussi, parce que lui, son coup, il l’a fait à la lumière. Ce qui n’exclut évidemment pas qu’il ait été pensé dans l’ombre. Et puis, en milieu de semaine, le Guéant ne doit pas être mécontent de son effet.



Cela fait pédant mais je prends le risque : je trouve le petit théâtre des réactions éminemment drôle à observer. Il vaut mieux trouver ça drôle que désespérant, tout en suivant sa propre route.



Pour un observateur politique, il était facile d’anticiper les positions des uns et des autres. Facile de préméditer le coup. Parce que chacun joue un rôle, certains plus lucidement que d’autres. Que d’autres, tout en flairant le piège, ne peuvent s’empêcher d’y succomber. C’est leur raison d’être, leur statut social, leur créneau. Ils ne peuvent pas se contenir là-dessus et, en prime, ça leur offre des passages média. Ils flattent leur public et tant pis si flatter leur public n’est finalement pas nécessairement dans l’intérêt de la gauche.



Claude Guéant a prononcé une phrase anodine. Pas pour le militant socialiste bien sûr, pas pour le sociologue, ou le professeur de sciences politiques, qui tiennent là l’occasion de démontrer, pour l’un, son orthodoxie idéologique et pour l’autre, qu’il comprend des trucs que toi, t’as pas vu. Mais pour l’électeur « normal », la nuance entre civilisation, culture et régime, franchement, elle ne se fraie pas son chemin entre deux sujets sur le grand froid.



Que reste-t-il, alors ? Une déclaration ciselée, toute prête à être relativisée, jusqu’à Laurent Wauquiez qui nous parle des civilisations spartiates et athéniennes. Nous préférons une biiiip (parce qu’on s’en fout, en fait) qui célèbre la liberté d’expression plutôt que la tyrannie, l’émancipation des femmes plutôt que leur oppression, le vinaigre balsamique plutôt que l’huile de foie de morue. Ben, sérieux : oui. Si vous me mettez là sur la table deux biiip de ce genre, j’hésite pas, je préfère.



Et Luc Ferry peut citer André Comte-Sponville, que personne n’a encore soupçonné de « nous ramener jour après jour à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration », comme on l’a entendu.



«Toutes les civilisations ne se valent pas, ni tout dans chacune d’elles… Disons le donc tranquillement: de notre point de vue, non d’Européens mais de démocrates, une civilisation qui respecte les droits de l’homme est supérieure à une civilisation qui ne les respecte pas. Une civilisation qui prône l’égalité des sexes est supérieure à une civilisation qui veut maintenir les femmes en situation d’infériorité et d’oppression. Une civilisation laïque qui protège la liberté de croyance et d’incroyance est supérieure à une civilisation intégriste…» (Le Goût de vivre, Albin Michel, p. 292).


D’ailleurs le père Claude, contrairement à ce que l’on a dit et à Compte-Sponville, il n’a pas parlé de supériorité. Ça y ressemble mais il n’a pas employé ces termes.



Une déclaration ciselée, donc, et dont la sortie ne doit rien au hasard. Prononcée au sein d’une convention de l’UNI, elle donne le sentiment que Claude Guéant s’est lâché. Mais elle était faite pour être sortie et, de fait, elle l’a été par un certain Tristan Maupoil, qui est loin d’être un inconnu sur le web pour quelques sorties douteuses.



Et les réactions n’ont pas tardé à être à la hauteur des espérances que pouvait avoir Claude Guéant, culminant avec le dérapage du député Letchimy permettant à la droite de faire à la gauche un procès en hystérie. Sur le web, ce fut à qui rappelait que notre « civilisation », c’était la Saint Barthélémy, Abu Ghraïb et la Shoah (oubliant d’ailleurs de relever que d’autres « civilisations » ont également leurs génocides, outre l’absence d’égalité entre l’homme et la femme, de liberté de conscience et d’expression). Cette déferlante a pu souligner cette haine de soi que l’on pressent trop souvent à gauche. Du pain bénit pour Claude Guéant.



Et probablement la meilleure façon d’introduire une campagne identitaire. L’hypothèse a été évoquée à plusieurs reprises ces derniers mois, et elle semble se concrétiser. Il y a quelques mois, un analyste avançait que si Nicolas Sarkozy s’était calmé après son discours de Grenoble, c’est qu’avec la chute de DSK, il n’avait plus besoin de privilégier les discours musclés pour écarter les questions économiques du débat, sur lesquels DSK pouvait lui contester sa légitimité. Mais voilà, sur le plan économique, les évènements ne se déroulent pas pour le mieux. La TVA sociale ne fait pas triper les Français, le triple A a tout de même fait quelques dégâts et la perte d’intensité de la crise rend moins porteur la stratégie du « capitaine courage ». On lit même que François Hollande serait jugé plus crédible que Nicolas Sarkozy.



Alors, va pour l’identitaire. Et la gauche, toute à ses réactions convenues, à ses cris d’orfraie prévus, a donné tête baissé dans le débat tendu, pour installer le sujet dans la campagne. De façon amusante, si Martine Aubry avance que « Guéant passe son temps à provoquer », ça n’a pourtant pas l’air de marcher moins bien.



Va pour l’identitaire, et va pour les valeurs. Quitte, peut-être à se répartir les rôles : un ton plus apaisé de la part du Président (à confirmer à la lecture du FigMag), plus vindicatif pour le Ministre de l’Intérieur.



Reste à savoir si la stratégie, qui semble fonctionner, sera payante. Jusqu’à présent, chaque fois que Nicolas Sarkozy ou l’UMP ont ciblé ces sujets, ils n’ont fait qu’apporter des fournées d’électeurs à Marine Le Pen. Reste à savoir aussi si l’on se satisfait, moralement, d’une politique hystérique.



Mais j’ai dit qu’aujourd’hui, on s’amusait juste du spectacle des réactions…


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